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La lecture labiale ou comment entendre avec les yeux

 

 

 

De plus en plus de personnes entendent mal. Selon le site de l’association internationale Hear-it (www.hear-it.org), 16% des adultes sont atteints d’une déficience auditive ayant un impact sur leur quotidien. En cause, le vieillissement de la population et l’exposition excessive au bruit, mais aussi différentes maladies, certains médicaments, un accident ou tout simplement la génétique.

 

Lorsque l’audition est atteinte, c’est la faculté de communiquer qui est affectée. Une situation qui a des répercussions sur le travail, l’intégration, la vie sociale et familiale, l’humeur. Il importe donc de sortir de l’isolement causé par une mauvaise audition. Selon les cas, différents traitements sont possibles, comme l’appareillage auditif ou les implants. On connaît moins toutefois la lecture labiale (LL), qui s’inscrit en complément des autres interventions.

Les sosies labiaux

La lecture labiale s’apparente un peu à l’apprentissage d’une nouvelle langue. Il faut apprendre à distinguer, selon plusieurs critères, les mots qui se forment sur les lèvres. Et ce n’est pas facile. Comme on trouve dans les langues étrangères des «faux-amis», des mots écrits de manière identique mais qui ont un sens tout à fait différent dans la langue de traduction, la lecture labiale comporte des sosies labiaux. Des mots qui ont exactement la même image labiale. «Il marche très vite!», peut ainsi être lu: «Il mange des frites!»1.

Dans la langue française, pour 36 sons ou phonèmes, il y a 12 images labiales. On comprend les risques de confusion.

La suppléance mentale

Pour comprendre ce que dit le locuteur, la personne qui lit sur les lèvres doit donc remettre les choses dans leur contexte. Elle exécute toute une gymnastique mentale pour faire des liens et ainsi trouver le sens correct des paroles prononcées.

Mabel Gardiner Bell (1857-1923), auteure d’un petit traité sur la lecture labiale et sourde elle-même (voir encadré), soutenait elle aussi qu’il faut lire sur les lèvres en tenant compte du contexte. «Cela peut donner un temps de latence, mais le mot à mot, lent et laborieux, n’est pas forcément plus précis», écrit-elle.

Elle conseille aussi à la personne qui parle de ne pas essayer de faire des mots ou des phrases courts, car c’est plus difficilement compréhensible en LL. Les mots de plusieurs syllabes étant plus intelligibles que ceux d’une seule. Et les phrases plus longues «offrant plus de prise».

Par ailleurs, Mabel Gardiner Bell disait s’appuyer beaucoup sur l’expression du locuteur, son regard, qui à lui seul lui indiquait si la phrase dite était interrogative ou affirmative par exemple. Il faut donc avoir le visage bien éclairé si l’on parle avec une personne malentendante.

Les cours

Les cours de lecture labiale peuvent être privés ou collectifs. Dans le premier cas, ils sont prescrits par le médecin ORL traitant et remboursés par l’AI. Dans le second cas, ils ne nécessitent pas d’ordonnance et sont pris en charge, partiellement, par l’Office fédéral des assurances sociales. Ils s’adressent à des personnes de tous âges.

Les participants apprennent à reconnaître la forme des mots sur les lèvres par des exercices spécifiques. «J’utilise des techniques simples, le vocabulaire du quotidien, puis plus nous avançons, plus il est possible de complexifier. Le cours se donne "sans voix", par imitation des mouvements labiaux», explique Claudine Kumar, présidente de l’Association romande des enseignantes en lecture labiale (ARELL)2. Certaines personnes suivent ces cours pendant des années.

L’apprentissage est plus ardu pour les uns que pour les autres, mais cela n’a rien à voir avec l’âge. Il y a des gens qui ont des dispositions naturelles, comme pour l’apprentissage d’autres langues. «Ce n’est pas une démarche intellectuelle, il faut oser se lâcher. Je dis souvent aux participants: "Ne réfléchissez pas, imitez!"», relève Claudine Kumar.

En dehors des cours, les choses se compliquent un peu, par exemple s’il y a du bruit. Et il n’est pas facile de fixer la bouche de son interlocuteur, car cela peut mettre mal à l’aise. L’alternative étant d’avertir qu’on lit sur les lèvres, mais pour cela il faut d’abord avoir accepté la perte de son audition. Quoi qu’il en soit, comme dans toute langue, l’important est de pratiquer.

L’art subtil de la lecture sur les lèvres

Mabel Gardiner Bell, l’épouse de l’inventeur contesté du téléphone, est devenue sourde à l’âge de 5 ans. Elle lisait très bien sur les lèvres et a écrit un petit ouvrage sur la lecture labiale en 1895, toujours d’actualité et assez charmant: L’art subtil de la lecture sur les lèvres (Ed. du Fox).

Elle insiste, dans cet ouvrage, sur l’importance de la lecture qui permet d’enrichir son vocabulaire. Cela afin d’avoir suffisamment de mots en mémoire pour arriver, par une sélection automatique, à choisir le mot exact employé par celui qui parle. Pour elle, la lecture labiale est une reconstitution faite de bribes de compréhension et de mise en contexte.

«J’ai l’habitude de laisser parler mes interlocuteurs, même si aucun mot n’est compris de moi, dans l’espoir, qu’avant la fin, un ou deux mots pourront être reconnus qui jetteront des flots de lumière sur l’ensemble du discours.»